Pensée conceptuelle, pensée imaginative, pensée sociale. Perspectives historiques et pratiques pédagogiques

• Mme Muriel Frisch, professeure, l’Université de Reims – rapporteure
• M Laurent Lescouarch, professeur, Normandie Université – rapporteur
• M Jean-Marie de Ketele, professeur émérite, Université de Louvain (Belgique)
• Emilie Dubois, maîtresse de conférence, Université de Rouen Normandie
• M Chalmel Loïc, professeur émérite, Université de Haute Alsace – directeur de thèse

La soutenance aura lieu à 14h à la salle Gandjavi de la Faculté des Lettres, Langues et Sciences Humaines à l’UHA, 10 Rue des Frères Lumière à Mulhouse.

Résumé:

L’expérience de l’enseignement en classe de fin de collège et de lycée semble mettre en évidence l’utilisation de méthodes de transmission, de recherche et de solution de problèmes très polarisées sur l’approche conceptuelle-analytique. En parallèle, les défis du monde actuel demandent à l’école de préparer les jeunes à se mesurer à des problématiques extrêmement complexes, en premier lieu la crise écologique qui synthétise toutes les questions économiques, sociales et civiques qui affectent le monde et leur futur, celui de l’Anthropocène. La pensée conceptuelle-analytique est-elle suffisante pour affronter efficacement cette complexité ? En ayant compartimenté les savoirs, simplifié et isolé le réel, adopté la seule causalité linéaire, ce type de pensée semblerait être une des causes de la crise présente et avoir influencé le geste de l’école actuelle dans ses finalités et ses approches. En termes de finalités, l’éducation scolaire se concentre le plus souvent sur l’obtention de résultats ponctuels et à court terme, ainsi que sur la performance individuelle tout en se référant, en même temps, à des standards de réussite non individualisés. En termes d’approches elle s’organise sur la base de la compartimentation des enseignements, d’apprentissages théoriques, du travail individuel. Ne faut-il pas, urgemment, compléter cette pensée par d’autres démarches et d’autres formes de pensée, telles la pensée imaginative et la pensée sociale, afin de construire ce qu’on pourrait appeler une « capacité pensante systémique » ? Cette problématique est déclinée en trois parties.

Dans un premier temps, l’analyse se concentre sur le développement des facultés cognitives de l’Homme depuis la Préhistoire jusqu’à nos jours, ayant donné origine à une polarisation sur la faculté conceptuelle-analytique, modèle aujourd’hui à la base de l’éducation scolaire. Ceci aurait creusé, voire radicalisé, le dualisme ontologique (séparation de l’Homme du Monde) ainsi que le dualisme gnoséologique (séparation du Sujet de l’Objet). Des philosophes et penseurs de chaque époque sont convoqués pour créer un fil rouge qui conduit le raisonnement et met en lumière la mise à l’écart d’autres formes de pensée, la pensée imaginative, la pensée sociale et la pensée conceptuelle complexe. Ces philosophes vont aussi caractériser deux courants distincts au fil des siècles : le premier, proposant une approche imaginative et universelle de la connaissance, le deuxième une impulsion vers la conceptualisation.

Dans sa deuxième partie, la thèse analyse l’application en pédagogie de la pensée imaginative (s’inspirant des enseignements de la tradition averroïste et goethéenne), de la pensée sociale (s’appuyant sur les études de Matthew Lipman, de Philippe Meirieu et de l’école québécoise) et de la pensée conceptuelle dans son déploiement complexe, selon le paradigme d’Edgar Morin. Cette partie est complétée par des comptes-rendus d’expérience dans des classe de fin de collège et de lycée, menées par la doctorante dans une École Waldorf hors contrat où elle a exercé pendant douze ans. La troisième partie, dans le même esprit de participation des élèves développé dans la deuxième partie, donne la parole aux jeunes eux-mêmes lors d’une série de quinze longues conversations avec des anciens élèves de 23 ans. Ils ont été appelés à faire surgir, par une analyse des méthodes d’enseignement rencontrées pendant leur parcours éducatif, des éléments pouvant aider à construire une capacité pensante systémique. Les anciens élèves ont construit des catégories d’analyse des méthodes d’enseignement rencontrées qui résonnaient fortement avec celles développées dans la partie théorique et qui contribuent à ouvrir des pistes de recherche précieuses pour la construction de nouvelles méthodes et, pour finir, d’un nouveau paradigme éducatif.

Abstract

The experience of teaching in secondary school seems to highlight the use of transmission, research, and problem-solving methods very polarized on the conceptual-analytical approach. At the same time, the challenges of today’s world require schools to prepare young people for extremely complex issues, first and foremost the ecological crisis which synthesizes all the economic, social and civic issues that affect the world and their future, the one of the Anthropocene. Is conceptual-analytical thinking sufficient to effectively deal with this complexity? Having compartmentalized knowledge, simplified and isolated the real, adopted the only linear causality, this type of thought seems to be one of the causes of the present crisis and to have influenced the action of the current school in its aims and approaches. In terms of aims, school education focuses on the achievement of short-term and punctual results, as well as individual performance while at the same time referring to non-individualized standards of success. In terms of approaches, it is organized on the basis of compartmentalization of teachings, theoretical learning, individual work. Is it not necessary, urgently, to complete this thought with other approaches and other forms of thought, such as imaginative thought and social thinking, in order to build what might be called a « systemic thinking capacity »? This issue is addressed in three parts.

Initially, the analysis focuses on the development of human cognitive faculties from prehistory to the present day, which led rise to a polarization on the conceptual-analytical faculty, used as a model for the present school education. This would have deepened or even radicalized the ontological dualism (separation of the Man from the World) as well as the gnoseological dualism (separation of the Subject from the Object). Philosophers and thinkers from every era are chosen to create a thread that guides the reasoning and highlights the sidelining of other forms of thought, imaginative thinking, social thinking, and complex conceptual thinking. These philosophers will also characterize two distinct currents over the centuries: the first, proposing an imaginative and universal approach to knowledge, and the second a push towards conceptualization.

In its second part, the thesis analyses the application to pedagogy of imaginative thought (inspired by the teachings of the Averroist and Goethean traditions), social thought (based on the studies of Matthew Lipman, of Philippe Meirieu and the Quebec school) and conceptual thinking within its complex form, according to the paradigm of Edgar Morin. This part is completed by reports of experiences in classes of middle and high school, led by the doctoral student in an independent Waldorf School where she practiced for twelve years.

The third part, in the same spirit of student participation already sought in the second part, gives the young people themselves the opportunity to speak during a series of fifteen long conversations with 23-year-old former students. They were called upon to bring out, through an analysis of the teaching methods encountered during their educational journey, elements that can help build a systemic thinking capacity. They built categories of analysis of the teaching methods encountered that strongly resonated with those developed in the theoretical part of the research and which contribute to opening valuable avenues for the construction of new methods and, eventually, of a new educational paradigm.