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Université de Lorraine

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Redécouvrir l'activité de l'enseignant tunisien à travers ses débats de normes

Type de soutenance: 
Thèse
Nom: 
EL KADHI
Prénom: 
Wiem
Directeur(s) de thèse: 
Louis Durrive
Equipe: 
Activité, travail, identité professionnelle
Composition du jury: 
  • NACEUR Abdelmajid, professeur à l'Universié de Tunis*
  • BROUSSAL Dominique, professeur à l'université de Toulouse J. Jaures*
  • ZARROUK Sondess, professeur à l'Université de Haute-Alsace
  • METZ Claire, maitre de conférences à l'Université de Strasbourg

* rapporteur

 

Résumé: 

« Redécouvrir l’activité enseignante dans les débats de normes ».

Cette recherche, amorcée en Master 2, porte sur l’activité des professeurs des écoles primaires en Tunisie, l’activité étant ici entendue comme l’effort d’interprétation du cadre normatif par le protagoniste d’une situation de travail. La problématique est la suivante : dans un contexte de forte rationalisation du travail des enseignants en Tunisie, le chercheur s’interroge sur l’expérience normative des professionnels. Comment la personne qui travaille perçoit-elle le service qu’elle rend effectivement et comment s’établit son dialogue avec un monde de normes « ambiguës et strictes » ? Les enseignants déclarent être en grande souffrance, mais le travail est effectué malgré tout. D’abord, cela permet de penser qu’il y a un effort d’actualisation du cadre normatif, une prise en compte de ses exigences dans l’ici et maintenant : qu’est-ce qui est retenu, qu’est ce qui est au contraire laissé de côté dans ce qui fait le présent de l’action ? Ensuite, cela permet de considérer qu’il y a un effort de personnalisation de la réponse apportée au problème, à savoir la rencontre entre un cadre normatif rigide et une réalité infiniment variée et complexe, une rencontre gérée à chaque fois par une personnalité, un acteur singulier.
Nous mettrons l’éclairage sur les « renormalisations » de ce dernier, autrement dit ses solutions originales pour réaliser ce qui lui est demandé dans les conditions du moment - mais aussi, plus profondément, ses « débats de normes », c’est-à-dire les différentes possibilités envisagées par le professionnel avant d’agir, lorsqu’il est confronté à la situation et placé dans l’obligation d’intervenir.

Nos hypothèses de recherche pour redécouvrir l’activité enseignante découlent du champ des « théories de l’activi » en sciences humaines et sociales aujourd’hui. Il s’agit pour nous d’aller au-delà de l’inventaire des faits et de « ce qu’on demande » à l’enseignant, pour tenter de cerner quelque chose de l’implicite, autrement dit « ce que ça demande », « ce que ça fait » au professionnel de remplir sa mission dans les conditions actuelles. Ce que nous visons, c’est d’accéder au point de vue de l’enseignant, un point de vue au sens fort donné par Canguilhem - celui d’un vivant qui apporte ses propres normes d’appréciation des situations.

C’est donc pour cerner la réalité telle que les professionnels la vivent de leur « point de vue » que nos hypothèses partent des différentes représentations que l’on se fait de cette réalité enseignante dans le contexte tunisien. Celles-ci découlent souvent de l’image du travail « en conformité », comme une application mécanique du prescrit sans tenir compte des exigences de la situation réelle. Trois axes principaux structurent la formulation de nos hypothèses. Le premier axe considère la représentation du métier de l’enseignant tunisien en tant qu’elle est une application des normes institutionnelles, ignorant alors tout effort de renormalisation de la part du professionnel. Le deuxième axe explore les causes de cette représentation étriquée du travail, et nous évoquerons les différentes tensions entre les notions de motivation et d’engagement au travail. Et le dernier axe formule les conditions d’une nouvelle image de l’activité enseignante.

Les disciplines mobilisées pour cette recherche appartiennent au vaste champ de l’analyse de l’activité ouvert ces dernières décennies : l’ergonomie avec son concept prescrit/réel ; la psychodynamique du travail avec le concept plaisir/souffrance ; la sociologie clinique et son concept-clé de nœud socio-psychique - et enfin l’ergologie à partir du concept de débat de normes.

Pour le recueil de données, les options méthodologiques sont les suivantes : a) une enquête de terrain avec des journaux de bord réalisées sur place à l’aide de nos informateurs en Tunisie ; b) des observations en classe qui s’appuient sur la démarche ergologique d’une part ; l’observation participante d’autre part ; c) un entretien collectif avec quatre informatrices principales ; d) des retours d’expérience réalisées avec nos informatrices en Tunisie.

Les résultats de la recherche confirment que derrière l’image ordinaire et bien connue de l’activité enseignante à l’école primaire en Tunisie, il existe une autre réalité beaucoup moins visible. C’est la réalité que doit gérer quotidiennement le professeur des écoles. Comme toute personne qui travaille, il est pris dans l’écart entre le prescrit et le réel, mais avec de lourds désavantages : ce qui dans cet écart pourrait être réduit (la disponibilité des ressources notamment) ne l’est pas, faute d’attention à la matérialité du travail de la part de l’institution et pour ce qui est irréductible dans cet écart (la disparité des élèves, les aléas du quotidien, etc.), le maître d’école n’a aucun soutien lui permettant d’y faire face. Pire encore : son travail quotidien est considérablement compliqué, entravé par des exigences non fondées aux yeux des professionnels, telles que la soumission stricte aux normes de l’organisation, générant des contraintes nouvelles et des contradictions en chaîne. Ce décalage entre le travail pensé à l’avance et le travail effectif sur le terrain conduit souvent l’enseignant à des formes de souffrance et d’épuisement professionnels, alors même que la représentation humaniste de ce métier suscite encore chez certains enseignants un sentiment de plaisir, de satisfaction pour l’œuvre réussie. Les données de la thèse ont révélé également un aspect social souvent ignoré dans le travail enseignant, ainsi qu’un aspect identitaire fort, lié à l’historicité de l’enseignant, autrement dit ses non-dits qui influent sur ses choix au travail. Enfin l’interprétation des données porte sur les débats de normes, qui apparaissent comme « les grands révélateurs » de tout ce qui fait de la pratique enseignante un effort toujours renouvelé pour reprendre l’initiative sur les contraintes et les problèmes dans le travail quotidien. En les décortiquant, nous retrouvons toutes les dimensions réelles d’une pratique pour pouvoir ainsi y reconnaître un métier fait de contradictions, d’aspirations et de tensions. C’est à travers l’attention aux débats de normes des professionnels qu’une nouvelle image de l’activité enseignante pourra être considérée, en vue d’un changement profond des politiques managériales.

Date début de thèse: 
Octobre 2016
Date de soutenance: 
lun - 27/03/2023