Thèse 2009 : Prospective des besoins de formation du système productif à l’échelle régionale : proposition de méthode et application.

L’objectif de notre travail a été de concevoir puis d’expérimenter, une méthodologie de prospective des besoins de formation à l’échelle régionale. La prospective des besoins de formation est un préalable à la conception et à la mise en œuvre des politiques publiques de formation professionnelle. Or il nous a semblé, après d’autres, que les Régions, devenues le principal vecteur de la mise en œuvre et du financement des politiques publiques de formation professionnelle, n’avaient pas aujourd’hui une capacité d’anticipation suffisante des besoins de formation de leur système productif, ce qui peut rendre malaisé le pilotage et la mise en cohérence de l’offre de formation.   

Au delà même des questions d’instrumentation des politiques publiques, la question qui est soulevée, est celle de la cohérence des politiques de formation professionnelle dans le double objectif économique et social  qui est le leur. Il est demandé, en effet, à la formation professionnelle de contribuer à la qualification de la main d’œuvre en vue du développement économique des entreprises des territoires ; il lui est demandé aussi de donner aux individus des compétences censées les protéger contre les risques de perte d’emploi et de chômage, dans une logique de sécurisation des parcours professionnels. Nous avons voulu montrer pourquoi et comment la prospective des besoins de formation peut être en mesure d’aider le pilotage régional de la formation professionnelle en coordonnant les intérêts éventuellement divergents des différentes parties prenantes des politiques de formation professionnelle, décideurs politiques, entreprises ou stagiaires de la formation. Chacun à son niveau, en effet, peut trouver un intérêt particulier aux informations sur les besoins à venir du système productif, produites à travers une démarche de prospective.

Ainsi envisagée, la prospective nous renvoie à des questions fondamentales touchant la possibilité de la coordination des acteurs, qui ont été traitées, notamment, par les sciences politiques et la philosophie politique. Aussi, nous nous sommes efforcés de situer nos réflexions concernant la prospective des besoins de formation sur le champ de la philosophie politique de l’éducation, en proposant un modèle théorique empruntant à la fois aux théories de la justice (Rawls, 1971 ; Rawls, 1993) et aux théories cognitives des politiques publiques (Muller & Jobert, 1987 ; Muller, 1990). Ce modèle nous a permis de tenter de concilier une réflexion globale sur l’évolution des modes de coopération et des formes de la communauté politique, ancrée dans une théorie de la modernité politique, avec des analyses plus empiriques touchant les systèmes régionaux de formation professionnelle, en l’occurrence.

La méthodologie que nous avons proposée a été élaborée sur la base d’une comparaison internationale des outils et méthodes de prospective des besoins de formation. Cette comparaison a permis de souligner à la fois, la diversité des pratiques à travers l’Europe et le manque de méthodologies prospectives à caractère spécifiquement régional. Il est apparu également qu’il existe une relative homogénéité des approches mobilisées, et qu’il est possible de distinguer les approches d’anticipation du besoin de main d’œuvre des approches d’identification précoce des besoins de compétences (Zukersteinova & Strietska-Ilina, 2007 ; Tessaring, 2003). Sur le plan opérationnel nous nous sommes appuyés sur les travaux méthodologiques de l’école française de prospective (Godet, 2004 ; Jouvenel (de), 2004) et en particulier sur la méthode des scénarios qui permet de faire émerger une communauté de vue entre des acteurs sur une question déterminée.

La méthodologie élaborée appartient aux méthodes d’identification précoce des besoins de compétences. Elle se décompose en deux temps. Le premier est consacré à la construction de scénarios d’évolution des métiers et des activités professionnelles à partir de l’analyse de l’impact des changements environnants sur ces activités. Le second temps permet, sur la base d’une enquête réalisée auprès des entreprises régionales, d’estimer les besoins régionaux de formation et de compétences associés à l’évolution des activités professionnelles. Par rapport aux approches existantes, notre approche a ceci de spécifique qu’elle s’appuie sur une démarche probabiliste et statistique précise de construction des scénarios et d’estimation des besoins de formation. En outre, elle s’efforce de spatialiser les probables besoins de formation des entreprises sur les métiers ou les activités professionnelles considérées. Une telle spatialisation peut constituer une aide supplémentaire au pilotage des dispositifs de formation, en particulier dans la perspective de l’aménagement de la carte régionale de formation.

La recherche a consisté non seulement à concevoir la méthode d’anticipation, mais aussi à en vérifier le caractère opérationnel dans le cadre d’une mise en œuvre réelle. La méthode a ainsi été expérimentée sur le champ de la mécanique industrielle en région Alsace.

Les enjeux scientifiques de la recherche sont de deux ordres, méthodologiques et théoriques. Le travail participe, premièrement, aux réflexions internationales menées autour des méthodes relevant de l’identification précoce des besoins de compétences, et propose une manière d’analyser les effets des évolutions sectorielles sur les systèmes productifs locaux, et de restituer l’information à un niveau régional. Si comme le suppose la régionalisation des politiques de formation, la capacité des acteurs à appréhender les besoins des systèmes productifs locaux, est une des clés de l’efficacité des politiques de formation, alors l’importance des recherches méthodologiques qui vont en ce sens est avérée. Ces recherches ouvrent, par ailleurs, des perspectives sur le champ de la politique régionale comparée ou de l’évaluation des politiques publiques régionales, puisqu’elles donnent accès aux processus de coordination des acteurs sur la base desquels vont finalement se définir des stratégies régionales dont on pourrait interroger les spécificités. Deuxièmement, la recherche a permis de développer un dispositif méthodologique qui permet de confronter au terrain des hypothèses théoriques sur la manière dont les politiques de formation professionnelle contribuent à protéger les individus contre les risques liés à la perte d’emploi. Elle intéresse par là doublement un programme de recherche de philosophie politique de l’éducation qui s’efforce de prendre en compte la réalité empirique des systèmes de formation qu’il étudie, et qui pourrait trouver matière à questionner les référentiels républicains qui sous-tendent l’élaboration des politiques de formation professionnelle lorsque celles-ci s’assignent explicitement une fonction de cohésion sociale.