L’institutionnalisation de la fonction d’assistante maternelle – La reconfiguration de l’économie domestique.

Résumé :

Notre travail de recherche interroge l’activité d’assistante maternelle, exercée depuis 1977 sous cette dénomination, mais qui, néanmoins, existe de très longue date puisqu’elle s’enracine dans l’activité de nourrice et n’en est que le prolongement « actualisé ». Depuis son changement d’appellation, cette activité n’a cessé de se développer, tout en étant associée à un processus de professionnalisation progressive tendant à l’insérer dans un champ professionnel, celui de la petite enfance et à l’envisager comme un véritable métier nécessitant une formation préalable à son exercice. Comme la nourrice, celle-ci assure la prise en charge journalière des enfants en bas âge, en l’absence de leurs parents occupés par leurs obligations salariées. Cette activité a été, en France, depuis l’avènement de la IIIème République, l’objet d’une démarche d’institutionnalisation sous la pression de problématiques sociales et économiques, dans une conjoncture de dépopulation et de peurs sociales, en vue d’assurer tant l’accroissement et la santé de la population que la puissance économique du pays et son rayonnement international. La démarche qui a été choisie en fin du XIXème siècle pour donner corps à ces orientations politiques, en raison de l’importante mortalité infantile, des conditions de vie et de travail des familles notamment populaires et de leurs répercussions sur le climat social et la démographie, a été la formalisation politique de la protection de l’enfance et la définition d’une structuration familiale singulière. L’activité de nourrice a été le point d’ancrage et de développement de l’organisation sociale et politique de la protection de l’enfant. L’activité d’assistante maternelle, tout en participant toujours de celle-ci, est, quant à elle, fortement dépendante des politiques familiales. En outre, seules certaines classes sociales semblent s’orienter, de tout temps, vers l’exercice de ces activités comme inconsciemment contraintes et forcées, à savoir les classes populaires, laborieuses. Plusieurs institutions rattachées aux sphères politique, juridique, économique, morale et culturelle s’expriment à travers elles, comme la famille et la formation professionnelle. En conséquence, pour appréhender les multiples enjeux qui commandent la structuration de ces deux activités, n’en formant qu’une, nous avons fait le choix de les questionner comme s’il s’était agi d’un fait social comme défini par Emile Durkheim et comme un fait social total au sens qu’en donne Marcel Mauss.

Après avoir démontré en quoi et pourquoi l’activité d’assistante maternelle pouvait être considérée comme relevant d’un fait social total, nous nous sommes attelée à définir cette pratique et son cadre d’exercice. Puis, une fois précisés les motifs qui attestent de son enracinement dans la fonction nourricière, exercée dans le cadre des fonctions sociales remplie par une mère ou un père envers ses enfants en bas âge, nous avons posé les éléments qui nous permettent d’avancer que cette activité n’est autre que le prolongement de la fonction de nourrice. Tout en établissant qu’il s’agit bien, dans les deux cas, au vu du cadre dans lequel sont élaborées les fonctions de nourrissage, de maternage et d’éducation remplies par ces deux salariées, d’une fonction nourricière rémunérée qui s’inscrit en droite ligne dans l’économie domestique et ne peut en être séparée. La phase d’institutionnalisation engagée depuis l’année 1977, date du premier statut consacrant l’appellation d’assistante maternelle, a conduit au cours du XXème siècle à ce que cette activité soit considérée comme un métier sans toutefois lui en donner les attributs. Au vu de la structuration du parcours de formation professionnelle auquel elle est contraint, depuis la dernière loi du 27 juin 2005, du référentiel de connaissances et de compétences qui en a résulté, du mode de validation des acquis entré en vigueur à sa suite, sa dénomination de métier prend sens peu à peu, sans qu'il soit encore possible de considérer cette activité comme tel.

Le questionnement de l’ensemble des lois qui a structuré ces deux activités depuis le 23 décembre 1877, date à laquelle a été instaurée la surveillance des placements nourriciers en vue d’assurer la protection des enfants placés hors du domicile parental grâce à la loi Roussel, jusqu’à la loi du 27 juin 2005 qui a entériné l’obligation d’une formation préalable à son exercice, a dévoilé qu’à toute époque historique l’Etat retire les plus grands bénéfices de l’organisation de ce type d’activité salariée. Ces bénéfices, d’ordre social, économique et politique, lui permettent par ailleurs d’affirmer les choix de société effectués dès la IIIème république en matière de protection de l’enfance et d’organisation des fonctions sociales masculines et féminines, tout en précisant ses axes stratégiques en fonction des enjeux que révèlent les contextes socioéconomiques auxquels il fait face.

Les familles qui étaient initialement concernées par l’exercice de cette activité au XIXème siècle se trouvaient être les familles populaires et laborieuses, mais l’étaient-elles toujours à plus de cent années d’intervalle? Notre étude ayant révélé la permanence des classes sociales représentées, nous avons tenté de saisir en quoi ces origines sociales pouvaient être le fruit d’un habitus de classe prédisposant à un choix salarié spécifique.

L’exercice de la fonction nourricière rémunérée, étant effectué au sein de l’espace domestique, par une grande majorité de femmes mariées et mères de famille, nous avons choisi d’étudier les concepts d’économie domestique et de famille afin de percevoir les liens qu’ils entretiennent avec les politiques familiales et de l’emploi élaborées dans une société. Nous avons ainsi pu observer dans quelle mesure et de quelle manière les orientations politiques prises en matière de structuration et de gestion de la cellule familiale pouvaient impacter, aux XXème et XXIème siècles, la formalisation de l’activité salariée d’assistante maternelle, son institutionnalisation et son extension.

Les orientations politiques en faveur tant de la protection des enfants que de l’organisation d’une cellule familiale centrée autour de la mère et de l’enfant, en vue d’assurer la puissance économique de l’Etat et son rayonnement international, ont par ailleurs vu l’émergence d’un champ professionnel spécifique, dès la fin du XIX ème siècle, celui de la petite enfance. La création de ce dernier a permis l’affirmation des principes qui ont présidé à l’organisation sociale dans laquelle nous baignons, tout en octroyant à l’Etat les moyens qui favorisent tant la diffusion des normes sociales qui préfigurent la permanence de ses fondements moraux, sociaux et politiques, que l’acculturation des citoyens qui lui est indispensable. La structuration de ce champ professionnel a, de fait, autorisé la professionnalisation constante d’activités domestiques jugées il fut un temps profanes. Sa constante extension contribue à la ré-orientation du marché de l’emploi dans une société de type post-industrielle. Ainsi, en orchestrant l’extension du champ de la petite enfance l’Etat se donne les moyens de reconfigurer la vision du monde social et économique tel que défini dans notre constitution, au gré des besoins économiques, sociaux et politiques qui émergeront au sein de l’espace social national et international, tout en gardant ses fondements intacts et en pérennisant la reproduction sociale.

L’activité d’assistante maternelle, à l’intersection du profane et du professionnel, renforce ainsi l’habitus de classe des salariées qui l’exerce et contribue à la reproduction sociale tout en pouvant être considérée comme source de régulation économique et sociale parce que créatrice d’un nouvel espace de production. Néanmoins, cette source de régulation risque d’être à charge des femmes les moins diplômées, celles des classes populaires, laborieuses, en raison des valeurs qu'elles défendent.